YONI ZELNIK

contrebasse

INTERVIEW LE BLOG DU JAZZ
Yoni, il semble qu’aujourd’hui tout le monde cherche à jouer avec toi. Quel recul as tu par rapport à ça et par rapport au fait que tout semble basculer très vite pour toi ?

 YZ : En fait c’est très dur à analyser comme ça. Tu sais, nous les musiciens on est très vite parano. Je ne suis jamais vraiment satisfait et j'angoisse assez vite. Alors même si on me dit que cela marche bien maintenant moi j’ai souvent l’impression du contraire. Mais j’imagine que c’est aussi le lot de tout artiste de se mettre toujours en cause.

 

 C’est inhérent à la création ?

 YZ : Surtout en jazz où quoi que tu fasses, tu racontes quand même une partie de toi même.

Justement parles nous de toi. Quel est ton parcours ?

 YZ : Tu veux savoir comment j’ai commencé la contrebasse ? En fait ce sont les copains qui m’ont fait découvrir la basse électrique et le rock. Mes parents n’étaient pas du tout portés sur la musique. Il n’y avait pas de chaîne hi fi. Ce sont surtout mes copains qui m’ont dit un jour qu’ils montaient un groupe et que ce serait bien si je tenais la basse. Alors on passait notre temps à écouter du rock d’ado, des trucs vraiment pourris. Mais pour moi ça a été vraiment le côté social de la musique qui a été un révélateur. Jusqu’à cette période j’étais vraiment très mal dans ma peau. Enfant j’ai écu en Angleterre et puis à 9 ans je suis allé vivre en Israël. Là ça a été très dur pour moi parce que je ne me suis pas du tout retrouvé dans ce pays. J’étais très isolé, je n’avais pas d’amis, les gamins se moquaient de moi. Grâce à la musique j’ai enfin pu avoir des vrais copains et d’un coup je me suis trouvé super bien avec eux. Et avant la musique je n’ai pas de souvenir d’avoir jamais été bien pendant mon enfance. Ça n’allait jamais. Vers 14/15 ans j’étais suicidaire et quelque part la musique m’a sauvé. Mais je n’étais pas le modèle du surdoué. Moi c’était plutôt pour me retrouver l’après midi avec mes copains. Au lieu d’aller taper le ballon au foot, aller dans les garages fumer des clopes et jouer de la musique avec les potes. Je n’ai découvert le jazz que deux ou trois ans plus tard et c’est là que cela m’a fait un vrai déclic.

 

 Quand as tu décidé d’en faire ton métier

 YZ : Au bout d’un moment j’ai voulu progresser et j’ai pris des cours de basse électrique. Je suis allé voir quelqu’un qui était prof de contrebasse et de basse électrique et qui m’a amené au jazz. Il m’a un peu prit pour son fils. Il m’emmenait à ses concerts et au début je comprenais rien à ce qu’il jouait. La nuit j’arrivais pas à dormir, je m’écoutais les K7 qu’il me passait, les quintet de Miles (Cookin’, Relaxin’) entre autres. Et franchement il  avait une ambiance dans ces vieux quintets, une sonorité et puis toute l’image qu’il y avait avec la trompette de Miles, la sourdine, le son du blues ! J’avais envie de rentrer dans cet univers. Avec Miles j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose en plus que la musique. Ce type est véritablement un metteur en scène. Du coup je suis devenu un auditeur compulsif de tout ce qui se fait. Je n’ai pas compté mais aujourd’hui je dois avoir plus de 1000 disques de jazz chez moi.

 A 18 ans en Israël on sélectionne les jeunes pour voir ceux qui peuvent devenir des officiers dans l’armée. Moi j’étais dans la musique et du coup je me sentais assez cool. Alors j’ai opté pour Jeruslem où il y a une académie de musique. On s’est retrouvé à 10 dans une petite classe de jazz. Je débarquais avec ma basse électrique et je ne connaissais rien au jazz. Du genre à me pointer pour l’examen d’entrée avec ma walkin écrite sur une petit cahier parce que j’arrivais pas vraiment à improviser. Je me suis retrouvé le seul bassiste de la classe. Du coup je faisais tous les ateliers et j’ai travaillé comme un malade pendant un an. J’arrivai à 8h du matin et je repartais à 21h le soir, 6 jours par semaine. Je partageais ma piaule avec un batteur et tous les matins on s’entraînait tous les deux avec un métronome. En fait je suis passé de rien, du bidouillage à une vraie structure qui demandait beaucoup de travail. Plus de 14h par jour sur l’instrument ! Au bout de 6 mois la basse électrique m’a fait criser. T’imagine avec ma basse électrique à essayer de relever des solos de Paul Chambers…

Surtout quand il joue de l’archet !

 YZ : Non mais sérieusement je te jure que c’est vraiment dur à 18 ans comme ça d’un coup d’être plongé dans cette exigence de rigueur. J’en ai pleuré plus d’une fois. J’avais une pression énorme et mes parents n’étaient pas du tout derrière moi pour m’encourager. Ils estimaient qu’ils me laissaient une année de battement mais qu’après il faudrait que je reprenne les choses « sérieuses». Ensuite il y a eu un break avec les 7 mois d’armée que j’ai dû faire. Mais je ne pouvais pas travailler l’instrument. Du coup au bout de 7 mois j’ai réussi à me faire réformer et 3 mois après je suis parti en France.

 

 Tu t’es fait mal sur l’instrument

 YZ : Non jamais. J’ai toujours adoré ce travail même si des fois je reconnais que j’avais les doigts qui saignaient. Mais ce n’a jamais été une douleur. Mais à côté de cela il y a un rapport physique avec la contrebasse. Lorsque tu fais vibrer l’instrument ! Je n’avais pas ce rapport sensuel avec la basse électrique et du coup cela a été une révélation. Aujourd’hui j’ai totalement abandonné la basse électrique. En plus j’ai opté pour un jeu sans aucune amplification. Totalement acoustique !

Pourquoi avoir choisi  la France

 YZ : D’abord ma mère est française et puis j’avais mes grand parents ici. Surtout il fallait vraiment que je parte. Non seulement je faisais de la musique alors que mes parents attendaient que je suivent un autre parcours mais en plus je me faisais reformer ! Franchement je ne prenais pas le chemin que mes parents voulaient pour moi. Et puis je crois que secrètement ils pensaient qu’au bout d’un an passé en France j’aurai envie de rentrer en Israël reprendre des études normales.

 

 Tu arrives en France, tu n’avais pas de connexions particulières

 YZ : Non mais ma mère m’a inscrit au CIM. C’était en 1995. C’était l’année où Alain Guerini venait de disparaître. En fait c’est Texier qui lors d’un concert en Israël nous avait indiqué le CIM.

 

C’est là que tu as rencontré Youn Sun Nah ?

YZ : Oui et beaucoup d’autres. Comme David Georgelet par exemple et beaucoup d’autres. Au début c’est surtout David qui était moteur et qui organisait plein de gigs. Mais bon à l’époque même si je savais pas mal de chose sur le jazz cela m’a quand même pris pas mal de temps pour pouvoir me hisser. Cela fait 5 ans que je suis intermittent mais en fait c’est très récemment que je peux gagner ma vie en jouant. Maintenant ça va beaucoup mieux. Le seul truc c’est que tu sais pas combien de temps cela va durer. Avec tous les jeunes musiciens qui arrivent….. Aujourd’hui on est un peu une génération à la mode de gars trentenaires dont on parle un peu et qui commencent un peu à percer. La notoriété est aussi beaucoup liée à un phénomène de génération.

Comment ressens tu la difficulté pour un contrebassiste d’exister

YZ :C’est comme ça, on est un instrument qui reste derrière. Même si tu joues vite et fort, tu restes un contrebassiste et tu seras jamais uns star dans le jazz. Ca va avec l’instrument et moi cela ne me pose aucune problème au contraire. Il y a un côté frustrant de ne pas être leader mais cela va très bien avec mon caractère. On peut très bien imposer un style tout en restant derrière un soliste.

 

Et toi tu n’as pas envie des fois d’être comme Avishai ( Cohen), un véritable leader avec sa contrebasse ?

YZ : Attention moi je ne suis pas Avishai ! Moi je suis plutôt réservé et puis je jouerai jamais comme lui. Tu te rends pas compte techniquement le niveau de ce gars, c’est incroyable ! Mais si je devais faire quelque chose sous mon nom, ce ne serait justement pas pour mettre l’instrument en avant mais plutôt la musique. Et là c’est vrai que j’ai envie de composer sans pour autant me transformer en soliste.

Quelqu’un comme Scott La Faro représente un idéal pour les contrebassiste comme toi, non ?

 YZ : C’est un génie et j’adore mais je ne me situe pas du tout dans cette école. Je suis beaucoup plus terrien.

 

Quand tu joues tu privilégies plutôt ta relation avec le soliste ou plutôt avec le batteur ?

YZ : Plutôt avec le batteur. Il y a quelque batteurs avec lesquels je m’éclate à jouer comme Karl Januska ou Dre Palleamaert, Tony Rabeson. Il y a bien sûr cette notion de cohérence rythmique qui est fondamentale. C’est lui que j’écoute le plus. En ce sens je ne suis justement pas dans l’école de La Faro qui jouait plus avec le soliste. Il faudrait que je travaille plus l’oreille pour cela.

Justement, tu composes ?

YZ : J’ai un peu composé pour Yun (Sun Nah) mais franchement je n’ai pas le temps et puis pas trop confiance en moi. Je ne ressens pas trop l’envie de cela.

Aujourd’hui tu es encensé et tout le monde te demande mais il y a encore 3 ans tu étais très critiqué ( la période où tu jouais avec jacques Schnek). Comment vis tu ces revirements ?

YZ : Si tu fais référence à la période où on a joué avec Artero, cela a été une parenthèse très rapide puisque l’on a été virés juste après le disque. Mais bon, c’est toujours comme ça et je crois que l’on se blinde beaucoup. Il y a des mauvaises critiques et des bonnes et il faut vivre avec ça. C’est pas grave et du moment que c’est argumenté je sais l’accepter.

 

A l’inverse il y a des moments où tu es encensé. Ainsi dans le disque de Yoann Loustalot, tu as été porté au pinacle

YZ : Mouai …. Tu veux que je te dises : en fait sur ce disque c’est un contrebassiste qui était ingénieur du son et du coup dans le mixage, la contrebasse est un peu plus forte. Du coup je suis plus présent et de ce fait on trouve que je joue bien. Tu vois à quoi ça tient ! Ca fait plaisir que les critiques sois bonnes mais franchement il faut savoir rester lucide. J’essaie surtout de savoir où je me situe dans la musique. Tu vois ce qui me fait plaisir c’est par exemple ce que je fais avec Géraldine Laurent où je joue vraiment la musique que j’adore. Là je sais où je suis et je sais où je veux aller. Ce qui me fait rêver c’est quand j’entend des gars comme Larry Grenadier, Drew Gress. Ils me font encore rêver.

 

Quelles sont tes connections avec la scène plus ou moins alternative comme Chief ou Yolk. On a le sentiment que vous êtes de la même génération mais que les connections ne se font pas forcément ?

YZ : Je les connais mais cela fait longtemps que l’on ne joue plus ensemble. Même si on tous joué les uns avec les autres, ensuite chacun a suivi des routes différentes et l’on ne se rencontre plus souvent. Bardaine, Geniez, de Pourquery sont tous des gars avec qui j’ai joué à un moment mais on est pas du tout dans la même  esthétique. D’ailleurs la contrebasse acoustique perd de son influence dans cette musique donc c’est normal que je les fréquente moins. De mon côté je suis très ouvert sur le plan musical mais je veux absolument me retrouver par rapport au son. Un projet comme Limousine me convient parce qu’il est très acoustique mais des trucs comme Collectif  Slang par exemple ne correspondent pas à l’univers dans lequel j’aime évoluer.

 


website © HB/EQUAL-IT